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Introduction

Les machines font partie de la réalité humaine depuis longtemps, mais la révolution industrielle a marqué un tournant décisif dans leur utilisation. À l'époque, leur signification et leur importance furent généralement reconnues, mais suscitèrent des réactions très variables: d'aucuns les perçurent comme une menace, et d'autres comme des opportunités prometteuses. Aujourd'hui, à l'heure de la technologie ubiquitaire et en pleine période de transition, nous sommes confrontés à une situation similaire concernant, cette fois-ci, les machines et processus intelligents.

Comme décrit ci-dessous, «l'évolution (ou révolution) ubiquitaire» va ouvrir la voie à une nouvelle ère où des machines et équipements pourront être installés partout - même dans le corps humain; les robots sont en passe de devenir des assistants humains et, à long terme, des collègues de travail.

Qu'est-ce qu'un robot?

Selon l'usage auquel il est destiné, un robot peut être classé comme étant de type industriel ou de service.

  • L'International Robot Association définit un robot industriel comme un «manipulateur multi-application, reprogrammable, commandé automatiquement, programmable sur trois axes ou plus, qui peut être fixé sur place ou mobile, destiné à être utilisé dans des applications d'automatisation industrielle» (selon la définition de la norme ISO 8373: 1994).
  • Les robots de service sont conçus pour assister et accompagner les humains, et s'occuper d'eux, en partageant leur environnement et en affichant un comportement intelligent basique pour accomplir les tâches qui leur sont affectées. Ils peuvent être classés en trois catégories: Les robots de catégorie 1 remplacent les humains au travail dans des environnements dangereux et sales, et pour des opérations fastidieuses; les robots de catégorie 2 coopèrent étroitement avec les humains pour améliorer leur confort, par exemple dans le cadre des divertissements, de l'assistance aux personnes âgées, du transport de patients et du travail; enfin les robots de catégorie 3 agissent sur les humains, par exemple, les robots médicaux sont utilisés pour le diagnostic, la chirurgie, le traitement et la rééducation.

Construits initialement pour effectuer des tâches simples, les robots sont actuellement de plus en plus conçus pour «penser» au moyen de l'intelligence artificielle (IA). Il existe deux types d'IA: une faible et une forte. L'IA faible est destinée à une machine qui dépend d'un logiciel conçu pour aider à rechercher ou à résoudre un problème spécifique. Le robot ne comprend rien, mais doit principalement résoudre les problèmes dans un champ d'application limité (par exemple, reconnaissance de textes et d'images, systèmes experts et échiquiers électroniques). En revanche, l'IA forte implique une machine hypothétique qui présente un comportement au moins aussi adroit et flexible que celui des humains.

L'avantage relatif des robots et des machines intelligentes réside dans leur capacité à effectuer différents mouvements et à «penser» sans cesse et inlassablement. Aujourd'hui, lors de la conception des robots, l'accent est mis sur la capacité des robots à suivre des modèles, ce qui les rend généralement hautement spécialisés. Dans un avenir relativement proche, la situation est appelée à évoluer et il y aura des robots capables d'accomplir un large éventail de tâches et d'imiter et paraphraser les humains. Cette évolution sera rendue possible en partie grâce à l'augmentation considérable de la capacité de mémoire des robots et des applications d'IA, qui permettra l'accès à d'énormes quantités de données qui seront utilisées pour des tâches opérationnelles très variées.

Portée de la robotique et projections pour l'avenir

De manière générale, on assiste actuellement à une transition de la société de l'information vers la société de la connaissance, et de la société de la connaissance vers la société de la «connaissance ubiquitaire». Dans cette «société ubiquitaire», le rôle que les machines intelligentes et autonomes sont appelées à jouer, constitue un enjeu majeur pour les décideurs politiques. Une attention particulière devra être portée aux «vagues technologiques» telles que la numérisation, les technologies de l'information et de la communication et la robotique, éléments essentiels dans le développement de cette nouvelle société ubiquitaire.

La stratégie 2020 de l'UE en matière de robotique évoque les développements actuels de la manière suivante:

«La technologie robotique deviendra dominante au cours de la prochaine décennie. Elle influencera tous les aspects de la vie au travail et à la maison. La robotique a le potentiel de transformer les vies et les pratiques de travail, d'améliorer les niveaux d'efficacité et de sécurité, de relever les niveaux de service et de créer des emplois. Son impact augmentera au fil du temps, tout comme l'interaction entre les robots et les hommes.» Entre les années 1960 et 1990, la plupart des robots et la robotique en général étaient limités à des applications industrielles. Aujourd'hui, les robots atteignent des capacités et une robustesse exceptionnelles, et tant la robotique que l'intelligence artificielle auront des répercussions énormes sur de nombreux secteurs tels que l'industrie militaire, les services de sécurité, les soins de santé, le transport et la logistique, le service à la clientèle et l'entretien de la maison. Dans le domaine de la robotique de service, on observe de récents développements remarquables en matière de soins de santé médicaux et personnels et on ne devrait pas tarder à voir des systèmes présentant un niveau encore plus élevé d'autonomie et de complexité, ainsi que des applications plus centrées sur l'humain. Dans le monde ubiquitaire, comme à présent, les humains communiqueront entre eux (homme-homme) et avec les machines (homme-machine); cependant, les machines (y compris les robots) communiqueront aussi entre elles (machine-machine). Le nombre de dispositifs impliqués dans les communications de machine à machine devrait connaître une croissance exponentielle d'ici 2020, échéance à laquelle il y aura, selon les projections, environ 50 milliards d'«objets intelligents», capables de se parler et d'interagir avec les hommes. Ces évolutions de la communication conduiront à «l'internet des objets» (IdO), largement anticipé, qui se caractérise par des systèmes qui reposent sur la communication autonome entre des objets physiques. La robotique sera liée, à de nombreux égards, à l'IdO et ce processus de liaison modifiera l'«ancienne» société des réseaux de bien des façons. Les téléphones mobiles et les ordinateurs portables, qui nous suivent partout, font désormais partie de notre vie de tous les jours, ce qui laisse présager que les hommes vivront bientôt dans un «monde ubiquitaire» où tous les appareils (y compris les robots) seront pleinement interconnectés. Avec la révolution de l'IdO en cours et l'introduction régulière des robots dans de nombreuses activités quotidiennes, les applications robotiques assistées par l'IdO deviennent une réalité tangible.

À l'avenir, les progrès de la robotique conduiront au développement des robots ménagers, assistants et partenaires, des robots médicaux, des robots de construction, des robots-animaux de compagnie, des robots de télé-présence et des robots jouets. Ces applications robotiques imiteront le comportement humain et animal, et l'IdO et les applications ubiquitaires leur permettront de communiquer entre eux.

Tous ces changements quantitatifs donneront lieu à des changements qualitatifs qui sont quasiment impossibles à prévoir compte tenu de la complexité du sujet. Les systèmes informatiques à grande vitesse ont déjà permis de voir les possibilités offertes par des processus de décision et d'action plus rapides, plus fiables et plus précis; toutefois, cette évolution rapide est elle-même susceptible d'entraîner des menaces et des risques, comme, par exemple, des variations brusques du marché boursier provoquées par les négociations à haute fréquence. L'évolution n'est-elle pas trop rapide? L'accélération des applications ubiquitaires et d'autres progrès technologiques pourrait-elle engendrer de plus grands risques pour l'économie et la société?

La robotique et l'avenir du travail

En ce qui concerne l'avenir du travail, il est important de considérer dans quelle mesure les robots peuvent remplacer ou compléter et améliorer le travail des humains. Un avenir où l'on continuerait de développer des robots principalement à des fins complémentaires serait le scénario le moins difficile pour la société car les humains ne seraient pas mis en concurrence avec les robots et automates et les rôles traditionnels seraient largement préservés. Cependant, les pressions économiques et de productivité sont susceptibles d'aboutir plutôt à une approche de substitution où les individus et les groupes seront remplacés à leur poste de travail par la robotique et l'automatisation. Globalement, on aura besoin de moins de main-d'œuvre pour les emplois de routine ou basés sur des tâches clairement définies, car elles pourront être assurées par des robots industriels et de service. Cette évolution se soldera par une augmentation relative de la demande de travailleurs hautement qualifiés et une baisse de la demande de travailleurs moins qualifiés, occupant traditionnellement les emplois caractérisés par des tâches manuelles ou cognitives routinières. Cette «érosion» du travail moyennement qualifié pourrait générer la perte d'environ un tiers de tous les emplois actuels dans les prochaines décennies. Le dilemme entre complémentarité et substituabilité et l'équilibre entre la préservation de l'emploi et le chômage causé par le progrès technologique constituent une problématique complexe pour les responsables politiques, le monde des affaires et la société civile au sens large. Les implications plus larges des répercussions de la robotique sur le marché du travail, l'économie et la société, soulèvent des questions difficiles sur les plans social et politique. Le débat sur les machines intelligentes et l'impact de la robotique et de la technologie ubiquitaire sur la société, l'économie et l'emploi est resté plutôt passif et peu d'idées bien structurées ont été développées sur les limites de la robotisation et de l'automatisation de la société.

La peur de voir le progrès technologique générer du chômage remonte au moins au 19e siècle, avec le soulèvement des ouvriers anglais de l'industrie textile, les Luddites, qui protestaient contre la perte de leur emploi suite à la révolution industrielle. Mais la crainte que le développement de la technologie ne remplace une forte proportion de la main-d'œuvre et ne conduise à un chômage structurel permanent s'est révélée injustifiée à maintes reprises et pour de nombreux économistes, il s'agit d'une idée quasiment impensable. En fait, le progrès technologique s'est généralement traduit par une augmentation de la richesse et du nombre d'emplois, tout au moins à long terme, et les nouvelles technologies et inventions scientifiques ont souvent été perçues de manière très positive. Mais la nouvelle ère de la robotique et de l'intelligence artificielle implique peut-être un changement d'une ampleur sans précédent; et, selon ce scénario, l'impact possible sur le marché du travail, la destruction d'emplois et l'économie a été très peu débattu. De nombreux économistes classiques pensent que les mécanismes de marché seront à nouveau en mesure de restaurer l'équilibre à long terme. Mais cela sera-t-il réellement le cas?

Les implications de la robotique en matière de sécurité et santé au travail

Comme nous l'avons vu ci-dessus, la diffusion des innovations robotiques aura d'importantes implications sur l'avenir du travail. Les robots permettent de maintenir la production industrielle à un haut niveau dans les pays avec des coûts de main-d'œuvre élevés. Ils permettront également d'exécuter des activités et des tâches productives qui ne peuvent pas être assurées par les humains, telles que l'analyse, la vérification et le contrôle de données massives, ou le travail dans des environnements trop pénibles ou dangereux. En outre, dans le contexte actuel du vieillissement de la population, les robots apportent une solution pour faire face à la raréfaction croissante – et à la valeur – de la main-d'œuvre manuelle.

Du point de vue de la sécurité et santé au travail (SST), la multiplication des robots constitue à la fois des opportunités et des défis.

Le principal avantage en termes de SST résultant de l'usage plus large des robots serait bien sûr leur substitution aux humains pour le travail dans des environnement malsains ou dangereux. Dans les industries de l'espace, de la défense, de la sécurité ou du nucléaire, mais également dans la logistique, la maintenance et le contrôle, les robots autonomes sont particulièrement utiles pour remplacer les travailleurs humains qui effectuent des tâches sales, monotones ou dangereuses, évitant ainsi l'exposition des travailleurs à des produits et conditions dangereux et limitant les risques physiques, ergonomiques et psychosociaux. À titre d'exemple des robots sont déjà utilisés pour effectuer des tâches répétitives et monotones, manipuler des matériaux radioactifs ou travailler dans des atmosphères explosives. À l'avenir, de nombreuses autres tâches très répétitives, risquées ou désagréables seront confiées aux robots dans des secteurs variés tels que l'agriculture, la construction, le transport, la santé, la lutte contre les incendies ou les services de nettoyage.

Malgré ces progrès, les humains resteront, pendant un certain temps encore, plus à même d'accomplir certaines tâches et la question qui se pose est de savoir comment conjuguer au mieux les compétences des humains et des robots. Parmi les points forts des robots figurent les travaux lourds, répétitifs et exigeant une grande précision, tandis que les humains peuvent se prévaloir de meilleures performances en termes de créativité, de pouvoir décisionnel, de souplesse et d'adaptabilité. Cette nécessité de combiner les compétences optimales a entraîné une collaboration plus étroite entre les robots et les humains, qui partagent un lieu de travail commun, et a mené à l'élaboration de nouvelles normes et approches visant à garantir la sécurité de la fusion «homme-robot». Certains pays européens intègrent actuellement la robotique dans leur programme national et s'efforcent de promouvoir une coopération souple et sûre entre robots et opérateurs en vue d'améliorer la productivité. Par exemple, l'institut fédéral allemand chargé des questions de sécurité et santé au travail (BAuA) organise des ateliers annuels sur le thème de la «collaboration homme-robot».

Cette coopération entre les robots et les humains est amenée à se diversifier à l'avenir, l'autonomie des robots s'accroîtra encore et la collaboration entre les humains et les robots atteindra des formes complètement nouvelles. Les approches et les normes techniques actuelles visant à protéger les employés contre les risques du travail avec des robots collaboratifs devront être revues dans la perspective de ces évolutions. D'autres défis en matière de SST, liés à l'émergence future des robots autonomes et de service, devront être relevés:

  • La robotique joue un rôle central dans les innovations en matière de soins de santé et de soins aux personnes âgées (y compris les travailleurs âgés). La technologie robotique est étroitement associée aux développements de la technologie des implants et des prothèses et ces deux domaines reposent à leur tour largement sur les neurosciences et les sciences de l'information. Les interfaces cerveau-ordinateur, les prothèses rattachées au système nerveux, la vision artificielle, les implants TIC et même les neuropuces (encore à un stade précoce) comptent parmi les derniers développements.

Ces progrès et d'autres avancées de la robotique permettent de développer des technologies d'amélioration humaine qui, non seulement interviennent sur le plan du handicap, mais améliorent également les capacités des personnes en bonne santé. Par exemple, les exosquelettes ou «robots portables» augmentent la capacité des travailleurs à transporter des charges, mais sont également utilisés comme dispositifs d’assistance ou de rééducation pour permettre aux personnes handicapées d’accéder ou de retourner au travail.

L’introduction des technologies d’amélioration humaine suscite de nouvelles attentes vis-à-vis de la gestion de la santé et de la sécurité pour la surveillance des risques émergents, mais soulève également de nouvelles questions sur les plans éthique et juridique.

  • La grande majorité des personnes n’ont aucune expérience de coopération avec les robots, mais cela va changer au fur et à mesure du développement de l’interaction homme-machine au travail. Les impacts indirects de la communication machine à machine sont peu connus, mais pourraient s’avérer importants. Des configurations logistiques et ergonomiques de robots autonomes doivent faire l’objet de nouveaux tests et projets pilotes dans les secteurs industriels et des services, et des programmes de formation adaptés devraient être prévus pour les travailleurs appelés à programmer, exploiter, entretenir ces robots ou à partager leur lieu de travail avec eux.
  • Les effets de la robotique sur la motivation et le bien-être des travailleurs et dirigeants ne sont guère connus. Il conviendra d’accorder une plus grande attention aux facteurs psychosociaux liés à la robotique dans le domaine de la santé et sécurité.
  • En raison du degré variable de maturité des domaines d’application de la robotique, il n’est pas possible de fournir des lignes directrices uniformes pour la gestion des risques et de la sécurité. Dans certaines applications, les questions de sûreté et sécurité ont été gérées de manière professionnelle, mais il peut y avoir des applications robotiques moins sûres. Il faudrait prévoir plus d’analyses pour identifier les activités à risque et dangereuses en matière de robotique autonome, en particulier dans les industries agroalimentaires, les services de soins, les services domestiques, les secteurs manufacturiers, les services professionnels et le transport.
  • La robotique de service étant mise en œuvre à des fins professionnelles depuis peu, les questions de responsabilité juridique en cas d’accidents dans un lieu public, ne sont pas clairement définies. Elles requièrent une analyse plus approfondie de la législation avant le déploiement de la technologie.

Il convient donc de développer un cadre de sécurité pour les robots de service et les robots industriels autonomes. Les principaux thèmes stratégiques sont les suivants: (1) gestion de la technologie, (2) réglementation et bonne gouvernance, et (3) expériences et interfaces utilisateur. Il faudrait disposer d’une base de connaissances européenne plus largement partagée sur les méthodes de sécurité pour les systèmes moins intelligents (par exemple, les véhicules et automobiles) en vue de leur adaptation à la robotique de service et à la robotique autonome, lesquels seront bien plus «intelligents» à l’avenir.

Conclusions

L’histoire montre que les nouvelles technologies génèrent de nouveaux avantages et de nouvelles possibilités, mais également de nouveaux coûts et de nouvelles menaces. De l’avis général, le rythme des changements s’accélère et l'avenir nous deviendra moins familier plus rapidement, notamment dans le domaine de la robotique et de l’intelligence artificielle où de nouvelles inventions et innovations voient le jour quasiment chaque semaine. Ces avancées apportent leur lot d’avantages tels que l’amélioration de la santé, du confort, de la productivité et de la sécurité, et la fourniture d’un plus grand nombre de données, d’informations et de connaissances utiles pour les personnes et les organisations. Mais elles présentent aussi un certain nombre d’inconvénients potentiels tels que de nouveaux défis en matière de protection de la vie privée et des données à caractère personnel, des attentes exagérées de la part des médias et une complexité technologique grandissante.

Nous avons besoin d’une coopération européenne accrue dans les domaines suivants: (1) exigences de sécurité de la robotique (ensembles d’exigences, normes d'exploitation sûre et meilleures pratiques), (2) lignes directrices en matière de conception pour l’ergonomie de la robotique, (3) méthodes d'amélioration des applications de la robotique dans le domaine de la santé et de la sécurité, (4) techniques de vérification et de validation (méthodes de contrôle de la conformité aux exigences et lignes directrices), (5) expériences et comportement en robotique axés sur les utilisateurs, (6) modèles éducatifs pour former les employés à travailler avec des robots, (7) meilleures pratiques de réglementation dans le domaine de la robotique industrielle (surtout les robots autonomes) et de la robotique de service (robots de bien-être et de soins) et (8) possibilités technologiques de création de systèmes sûrs en éliminant ou limitant les risques liés à la robotique.

Ce document de réflexion s'appuie sur le résumé d'un article plus long, commandé par l'EU-OSHA au Dr. Jari Kaivo-oja et intègre les contributions reçues du réseau de points focaux de l'Agence lors du séminaire du 11 juin 2015 à Bilbao.